Dernières infos d'Alfonso
23 avril 2025
Jardin d acclimatation. 206ème jour.
Plus de 6 jours ont passé depuis mon départ de Mar del Plata et je viens juste de retrouver mon équilibre...mer confuse, fatigue, mal de tête, j'étais en mode éco.
Heureusement, ce bien-être libérateur est arrivé qui fait de nos croisières cet espace-temps si merveilleux. Acclimatation, comme en haute montagne, le corps à besoin de s'adapter à ce nouvel environnement.
Mes deux copains albatros m'ont quitté à 35 Sud. De 6 degrés, 3 degrés au Cap Horn, nous sommes passés à 21 degrés. Dommage, on se saluait le matin, je les caressais du geste de la main, lentement, je les aimais bien dans leur smoking, très élégants.
Bonne journée.
Alfonso
2 mai 2025
Floraison - 215 ème jour de mer depuis Lorient.
Nous venons de passer Rio de Janeiro, la mer s'apaise peu à peu et l'on est loin des vagues et du froid des mers du Sud, de l'état de vigilance permanent, de la prudence et de l' humilité requises. Chaque fois qu’une pointe d'orgueil s’insinuait en moi, rapidement un coup de vent carabiné me remettait dans le bon axe, soufflait toute trace de vanité pour me rappeler ma place de fêtu de paille dans l univers.
Avec ces températures, mon voyage est en pleine floraison, j'en recueille chaque jour les fruits, et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le temps infini, le silence, la réflexion m'auront peut-être fait mûrir et fleurir; j'aurai, je l'espère d'autres floraisons à l’avenir, d’autres rêves, comme des petits bourgeons qui ne demandent qu'à fleurir.
Au temps des grecs anciens, on attachait peu d importance à la date de naissance, on préferait utiliser le terme d’akmê, l'année de pleine mâturité l'année où l'on fleurit; on disait d'un tel, il a fleuri durant la 69ème olympiade, à peu près, vers 500 avant J.C.
Bonne journée.
Alfonso
Iceberg en Pacifique Sud.
J'ai préféré envoyer ce message, une fois définitivement sorti de leur zone.
J’ai apercu un iceberg le 5 février à 52.41 S 118.54 W, à 11h locale et à 1 ou 2 milles de notre sud, temperature de l’ eau 6.3 degrés, extérieur 7 degrés. Beau temps, mer calme. Je contemplais la mer par le hublot quand j'ai aperçu une masse blanche vers le sud. J'ai tout de suite pensé à un cargo et au plaisir que j'allais avoir de discuter après plusieurs mois de silence. J'ai pensé à un cargo, un cargo blanc, un cargo japonais, avec des japonais tout vêtu de blanc, en gants blancs. Je n'en connais pas la raison. On aurait parlé de fleurs de cerisiers...Je suis sorti dans le cockpit et mon cerveau a mis quelques secondes avant d'admettre que c'était un iceberg. Peut-être que nous avons slalomé entre eux toute la nuit et que Cyrano les a évités avec ses bons yeux à l'avant. Difficile d'évaluer sa taille, entre 50 et 200 mètres de long, 20 et 50 de haut. La mer était calme, il se détachait bien sur l’horizon. Par mer agitée, avec l'écume blanche et le creux des vagues, leur visibilité est très réduite. Prudemment, avec Cyrano, nous sommes remontés un peu plus vers le Nord.
Taxi de nuit dans le Pot au Noir.
227 ème jour de mer.
Nous traverserons l'Équateur cette nuit; je n'oublierai pas mon offrande à Poseidon, un apéritif partagé, pour remonter l'Atlantique Nord vers les Açores sous de bons auspices. Nous sommes dans le Pot au Noir, comme un tunnel gris, zone de chaleur écrasante, absence de vent ou bien coups de vents sporadiques sous d'énormes nuages bourgeonnants.
Surtout faire attention à ne pas déchirer les voiles sous les grains furieux, et éviter toute précipitation pour ne pas se blesser. Toutes les nuits, je fais le taxi; j'allume le feu de mât, aussitôt un groupe de six petits merles s'installe sur les filières pour dormir paisiblement. Gais, discrets et légers, ils m'accompagnent gentiment sous la voûte étoilée,avec eux, j'ai des pensées heureuses.
Bonne journée.
Alfonso
Alizé:
poissons volants et saute- mouton. 240ème jour de mer
Qui dira les plaisirs de l alizé...sur des milliers de milles... au près...
Vent de face, saut à chaque vague et lourde retombée dans les creux, paquets de mer, vie penchée, mouvements du bateau comme dans un shaker, chaleur pesante, grains soudains, sargasses coincées dans l'hélice et le safran. etc...
Voyons plutôt le verre à moitié plein: vie en maillot de bain, douche sous la pluie, vagues gentillettes comparées à celles du Sud, réglages des voiles al dente, on apprend vite la différence entre le près serré, le près bon plein, et j'ajouterais, le près océanique. Cyrano qui s'amuse à effrayer les poissons volants dans des gerbes d'eau étincelantes, un ciel bleu pur, et des couchers de soleil comme ceux des tableaux du Lorrain. L'or du Temps.
Et puis le cerveau est bien fait, ces moments un peu difficiles feront place dans quelques mois, quelques années, à un sentiment de profonde plénitude et d'immense liberté.
Bonne journée.
Alfonso
251 ème jour de mer.
le 07/06/2025
Cache-cache anticyclone des Açores. Le poids des mots. Le choc des photos. Nous remontons l'Atlantique Nord vers Lorient et nous devons traverser l'anticyclone des Açores et ses calmes pour atteindre les vents d'ouest, vers 40 degrés N, qui nous pousseront vers la France.
C'est drôle, je poursuis l'anticyclone et il s'enfuit devant moi vers le nord, peut-être nous emmènera-t-il jusqu'au Groenland. Nous naviguons dans les calmes, sur un lac, on dirait que la mer veut nous garder un peu plus longtemps ; je ne suis pas pressé 250, 270, 290 jours pour ce voyage, quelle importance. Nous jouons avec le temps, nous ne nous battons pas contre lui. Si j'avais voulu aller vite, j'aurais pris l'avion.
Je lis Dersou Ouzala d Arseniev; une belle histoire d'amitié entre un officier explorateur russe et un chasseur de la Taïga, en Sibérie, au début du 20ème siècle. Dialogues avec une nature si riche, si généreuse et un très beau film de Kurosawa. J'ai fait très peu de photos et de films durant les mois passés dans les 40èmes et 50èmes Sud. Ce sont peut-être des grands mots, mais, je voulais préserver la pudeur, le mystère de ces mers. Ne pas soulever leur voile si fragile, ne pas gratter la dorure, leur conserver un imaginaire où chacun peut se promener et rêver. Je n'ai jamais aimé les expressions, "vagues vicieuses", scélérates, naviguer sur la peau du diable, se servir des mots comme un trampoline pour atteindre des émotions. J'y ai vu une harmonie céleste bleue infinie, un magnifique chaos, des dynamiques de forces, un jeu sans commencement ni fin, une beauté qui élève, les premiers matins du monde.
Bonne journée.
Alfonso
Le poids des mots. Le choc des photos. 2ème partie.
Plus jeune, je rêvais de grandes ascensions dans les Alpes, comme les faces nord des Grandes Jorasses, des Droites... Avec mon compagnon de cordée, nous ne disposions que de quelques photos, de récits mythiques, où nos esprits s’échauffaient dans des combats homériques. Réaliser ces ascensions, affronter le réel, c'était comme vivre un rêve éveillé, un présent magique dans une montagne sublimée.
Cap Horn. Nous y sommes arrivés au bout de 183 jours de mer; après avoir subi une dure tempête dans les 50èmes. Lieu mythique depuis 5 siècles, des générations d’hommes ont souffert, douté, espéré, désespéré, péri, été heureux, fiers dans ces eaux. Je voulais y passer en silence, sur la pointe des pieds, comme une prière, un hommage. Recevoir peut-être dans ma chair et mon esprit, le sceau d'une liberté acquise qui ne tombe pas du ciel, adoubement offert par la nature, les océans, les montagnes, les oiseaux et les étoiles.
Bonne journée.
Alfonso
P.S. Je devrais arriver à Lorient dans la dernière semaine de juin. Quand, exactement, j'en saurai plus la semaine prochaine